
Face aux défaillances financières et aux risques systémiques, l’intervention forcée de la banque constitue un mécanisme juridique complexe aux multiples implications. Cette procédure exceptionnelle, déclenchée lorsqu’un établissement bancaire connaît des difficultés majeures, mobilise des dispositifs légaux spécifiques et s’inscrit dans un cadre réglementaire strict. Au carrefour du droit bancaire, du droit des affaires et du droit administratif, l’intervention forcée soulève des questions fondamentales concernant l’équilibre entre protection de l’intérêt général, stabilité du système financier et respect des droits des parties prenantes. Dans un environnement post-crise où la réglementation prudentielle s’est considérablement renforcée, comprendre les mécanismes, conditions et conséquences de ces interventions devient primordial pour tous les acteurs du secteur bancaire.
Fondements juridiques et cadre réglementaire de l’intervention forcée
L’intervention forcée de la banque repose sur un arsenal juridique développé progressivement, particulièrement après la crise financière de 2008. En droit français, ce mécanisme trouve ses racines dans la loi bancaire de 1984, considérablement enrichie depuis par les transpositions de directives européennes. Le Code monétaire et financier constitue aujourd’hui le principal corpus législatif encadrant ces interventions, notamment dans ses articles L.613-31-1 et suivants relatifs aux procédures de résolution bancaire.
Au niveau européen, la directive 2014/59/UE, dite BRRD (Bank Recovery and Resolution Directive), a instauré un cadre harmonisé pour le redressement et la résolution des établissements de crédit. Cette directive, transposée en droit français par l’ordonnance n°2015-1024 du 20 août 2015, a profondément modifié l’approche des défaillances bancaires en introduisant des outils préventifs et curatifs.
Le cadre institutionnel s’articule autour de plusieurs acteurs clés. En France, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), adossée à la Banque de France, joue un rôle central dans la supervision bancaire et détient les pouvoirs d’intervention. Au niveau européen, le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) et le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) constituent les deux piliers de l’Union bancaire, avec la Banque Centrale Européenne (BCE) et le Conseil de Résolution Unique (CRU) comme autorités respectives.
Principes directeurs de l’intervention
L’intervention forcée s’articule autour de principes fondamentaux visant à garantir sa légitimité et son efficacité :
- Le principe de proportionnalité : l’intervention doit être adaptée à la gravité de la situation
- Le principe de préservation de la stabilité financière : protection contre le risque systémique
- Le principe de minimisation des coûts pour les finances publiques
- Le principe de hiérarchisation des créanciers (« no creditor worse off »)
La jurisprudence a progressivement précisé les contours de ces interventions, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 juillet 2016 (Kotnik e.a., C-526/14) qui a validé le principe du partage des charges (bail-in) en cas de soutien public. De même, le Conseil constitutionnel français, dans sa décision n°2015-718 DC du 13 août 2015, a confirmé la constitutionnalité des pouvoirs conférés aux autorités de résolution, sous réserve du respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.
Ces fondements juridiques établissent un équilibre délicat entre les nécessités d’action rapide face aux risques systémiques et la protection des droits fondamentaux des actionnaires, créanciers et déposants. Ils dessinent un cadre d’intervention où la puissance publique dispose de prérogatives exceptionnelles, justifiées par la nature particulière de l’activité bancaire et son impact potentiel sur l’ensemble de l’économie.
Conditions déclenchant l’intervention et processus décisionnel
L’intervention forcée ne peut être déclenchée qu’en présence de conditions strictement définies par les textes. Ces critères d’intervention constituent des garde-fous protégeant les établissements contre des actions arbitraires tout en permettant une action précoce face aux risques avérés.
La première condition fondamentale est la défaillance avérée ou prévisible de l’établissement bancaire. Cette notion, définie à l’article L.613-48 du Code monétaire et financier, recouvre plusieurs situations : l’incapacité à respecter les exigences d’agrément, un actif inférieur au passif, l’impossibilité de s’acquitter de ses dettes à l’échéance, ou la nécessité d’un soutien financier public exceptionnel. La jurisprudence Banco Popular (Tribunal de l’Union européenne, 1er juin 2022, T-481/17) a précisé que cette évaluation pouvait reposer sur des prévisions raisonnables de difficultés futures, sans nécessiter une défaillance déjà constatée.
La deuxième condition exige qu’aucune solution privée ne puisse remédier à la défaillance dans un délai raisonnable. Les autorités doivent ainsi examiner les possibilités de recapitalisation par le marché ou de rachat par d’autres établissements avant d’envisager une intervention publique. L’affaire de la Banca Monte dei Paschi di Siena en 2016-2017 illustre cette recherche préalable de solutions privées, qui s’est finalement soldée par une intervention étatique faute d’investisseurs.
Enfin, l’intervention doit être justifiée par l’intérêt public, notamment la nécessité de préserver la stabilité financière, de protéger les déposants ou les fonds publics, ou de maintenir la continuité des fonctions critiques de la banque. Cette évaluation repose sur une analyse approfondie des conséquences systémiques potentielles d’une défaillance non maîtrisée.
Processus décisionnel et autorités compétentes
Le processus décisionnel menant à l’intervention forcée implique plusieurs étapes et acteurs institutionnels, selon une procédure rigoureuse :
- La phase d’alerte : détection des fragilités par la supervision prudentielle
- La phase d’évaluation : analyse approfondie de la situation financière de l’établissement
- La phase de décision : délibération collégiale au sein des autorités compétentes
- La phase d’exécution : mise en œuvre opérationnelle des mesures d’intervention
Pour les banques significatives de la zone euro, la décision relève du Conseil de Résolution Unique, après consultation de la BCE. Le schéma de résolution est ensuite approuvé par la Commission européenne, voire par le Conseil de l’UE dans certains cas. L’exécution revient aux autorités nationales de résolution, comme l’ACPR en France.
Pour les établissements de moindre importance, les autorités nationales conservent une compétence directe, tout en coordonnant leur action avec les instances européennes. Cette architecture décisionnelle complexe vise à garantir la cohérence des interventions au niveau européen tout en respectant le principe de subsidiarité.
Les délais d’intervention sont généralement très courts, l’urgence caractérisant souvent ces situations. L’exemple de la résolution de Banco Popular en juin 2017, réalisée en une nuit, témoigne de cette capacité d’action rapide. Cette célérité nécessaire pose néanmoins des questions en termes de droits de la défense et de transparence du processus, comme l’ont souligné plusieurs recours contentieux formés a posteriori par des actionnaires lésés.
Modalités et outils d’intervention à disposition des autorités
Les autorités de résolution disposent d’un arsenal d’outils juridiques et financiers pour mener à bien leur mission d’intervention forcée. Ces mécanismes, définis par la directive BRRD et transposés dans le droit national, visent à réorganiser l’établissement défaillant tout en minimisant l’impact sur la stabilité financière et les finances publiques.
Le premier outil majeur est la cession d’activité, qui permet le transfert de tout ou partie des actifs, droits et engagements de la banque défaillante à un acquéreur privé. Ce mécanisme a été utilisé dans le cas de la Banco Popular, vendue à Santander pour un euro symbolique en 2017. Cette technique présente l’avantage de maintenir la continuité des services bancaires tout en évitant une liquidation désordonnée.
Le deuxième instrument est la création d’un établissement-relais (bridge bank), entité temporaire contrôlée par les autorités qui reçoit les actifs et passifs de la banque défaillante. Cette solution a été mise en œuvre lors de la crise chypriote en 2013 avec la création de la Bank of Cyprus pour reprendre les activités saines de la Laiki Bank. L’établissement-relais permet de gagner du temps pour organiser une cession ordonnée des activités.
Le troisième outil est la séparation des actifs, qui consiste à transférer les actifs dépréciés ou toxiques à une structure de gestion spécifique (bad bank). Ce mécanisme, utilisé notamment en Espagne avec la création de SAREB en 2012, vise à assainir le bilan de l’établissement pour faciliter sa restructuration ou sa cession.
Le renflouement interne (bail-in)
L’outil le plus novateur et controversé est sans doute le renflouement interne (bail-in), qui permet d’imposer des pertes aux actionnaires et créanciers selon un ordre précis. Ce mécanisme, appliqué notamment lors de la résolution de Banco Popular, représente un changement de paradigme par rapport aux renflouements publics (bail-out) pratiqués avant la crise de 2008.
La hiérarchie d’absorption des pertes suit un ordre strict :
- Les actionnaires sont les premiers affectés, leurs titres pouvant être annulés ou fortement dilués
- Les détenteurs d’instruments hybrides (dettes subordonnées, obligations convertibles) viennent ensuite
- Les créanciers chirographaires peuvent être sollicités en fonction de la gravité de la situation
- Les dépôts non garantis (supérieurs à 100 000 euros) peuvent être convertis en dernier recours
Certaines catégories de passifs sont exclues du bail-in, notamment les dépôts garantis (jusqu’à 100 000 euros), les dettes sécurisées comme les obligations foncières, et certaines dettes opérationnelles nécessaires au fonctionnement de l’établissement.
Au-delà de ces outils spécifiques, les autorités peuvent exercer des pouvoirs administratifs étendus : remplacement des dirigeants, suspension temporaire des droits des créanciers, restriction des distributions de dividendes, ou modification unilatérale des termes contractuels de certains engagements. Ces prérogatives exorbitantes du droit commun sont strictement encadrées et soumises au principe de proportionnalité.
La mise en œuvre de ces outils s’accompagne généralement d’un plan de restructuration visant à restaurer la viabilité à long terme de l’établissement. Ce plan, soumis à l’approbation de la Commission européenne au titre du contrôle des aides d’État, peut imposer des cessions d’actifs, des fermetures d’agences ou des réductions d’effectifs pour garantir le retour à une rentabilité durable.
Conséquences juridiques pour les parties prenantes
L’intervention forcée d’une banque engendre des répercussions juridiques considérables pour l’ensemble des parties prenantes, modifiant profondément leurs droits et obligations. Ces conséquences varient selon la catégorie d’acteurs concernés et les outils de résolution mis en œuvre.
Pour les actionnaires, l’intervention se traduit généralement par une perte substantielle, voire totale, de leur investissement. Leurs droits politiques peuvent être suspendus, leurs actions diluées massirement par l’entrée de nouveaux investisseurs ou simplement annulées dans le cadre d’un bail-in. L’affaire Northern Rock au Royaume-Uni illustre cette situation : la nationalisation de la banque en 2008 s’est soldée par une indemnisation des actionnaires jugée dérisoire, donnant lieu à un contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, Dennis Grainger et autres c. Royaume-Uni, 10 juillet 2012).
Les créanciers subissent également des modifications substantielles de leurs droits selon leur rang dans la hiérarchie des créances. Les détenteurs d’obligations subordonnées sont particulièrement exposés, comme l’a montré la résolution de Banco Popular où ces investisseurs ont vu leurs titres réduits à néant. La jurisprudence européenne a néanmoins imposé des garde-fous, notamment le principe du « no creditor worse off » qui garantit qu’aucun créancier ne peut subir des pertes supérieures à celles qu’il aurait supportées dans le cadre d’une liquidation ordinaire.
Protection des déposants et des clients
Les déposants bénéficient d’une protection renforcée grâce au système de garantie des dépôts qui couvre les avoirs jusqu’à 100 000 euros par déposant et par établissement. Au-delà de ce montant, ils disposent d’un privilège dans la hiérarchie des créanciers, introduit par la directive BRRD. La continuité des services bancaires essentiels est généralement assurée, même en cas de résolution, pour éviter les perturbations socio-économiques.
Pour les employés de l’établissement, l’intervention peut entraîner des conséquences variables selon les mesures adoptées. En cas de cession ou de création d’une banque-relais, le droit du travail prévoit des mécanismes de transfert automatique des contrats de travail (article L.1224-1 du Code du travail). Toutefois, les plans de restructuration qui suivent généralement ces opérations peuvent conduire à des réductions d’effectifs significatives, comme observé après le sauvetage de Dexia.
Les contreparties contractuelles de la banque peuvent voir certains de leurs droits temporairement suspendus, notamment les clauses de résiliation anticipée qui pourraient être activées par l’intervention. Cette suspension, limitée dans le temps, vise à préserver la valeur économique de l’établissement et à éviter une désorganisation précipitée de ses relations d’affaires.
Les voies de recours offertes aux parties lésées constituent un enjeu majeur. Les décisions d’intervention peuvent être contestées devant les juridictions administratives nationales ou européennes, mais ces recours se heurtent à plusieurs obstacles : l’urgence des décisions prises, la complexité technique des évaluations financières, et la marge d’appréciation reconnue aux autorités de résolution. L’affaire Trasta Komercbanka (Tribunal de l’UE, 5 novembre 2019, T-698/16) illustre ces difficultés procédurales.
Sur le plan de la responsabilité civile, les possibilités d’obtenir réparation sont strictement encadrées. La responsabilité des autorités de résolution n’est généralement engagée qu’en cas de faute lourde, tandis que les dirigeants de l’établissement peuvent voir leur responsabilité personnelle recherchée, notamment via l’action en comblement de passif prévue par le droit des procédures collectives.
Défis actuels et évolution du cadre juridique de l’intervention bancaire
Le système d’intervention forcée des banques, bien que considérablement renforcé depuis la crise financière, continue de faire face à des défis majeurs qui nécessitent une adaptation constante du cadre juridique. Ces enjeux touchent tant à l’efficacité opérationnelle qu’à la légitimité même des mécanismes mis en place.
Un premier défi concerne l’articulation entre les différents niveaux de régulation et de supervision. Malgré les avancées de l’Union bancaire, des tensions persistent entre la logique supranationale de la résolution et les spécificités des systèmes juridiques nationaux. L’affaire Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca en 2017 illustre cette problématique : alors que le Conseil de Résolution Unique avait conclu à l’absence d’intérêt public justifiant une résolution européenne, les autorités italiennes ont organisé une liquidation assistée avec soutien public, suscitant des interrogations sur la cohérence du système.
La question du financement des interventions demeure problématique. Si le principe du bail-in a réduit la dépendance aux fonds publics, le Fonds de Résolution Unique, doté de 55 milliards d’euros à terme, pourrait s’avérer insuffisant face à une crise systémique majeure. Le filet de sécurité (backstop) fourni par le Mécanisme Européen de Stabilité depuis 2022 constitue une avancée, mais l’absence d’un véritable système européen d’assurance des dépôts (SEAD) fragilise encore l’architecture de l’Union bancaire.
Évolutions normatives récentes et perspectives
Le cadre réglementaire connaît des ajustements réguliers pour répondre à ces défis. La révision de la directive BRRD en 2019 (BRRD2) a introduit plusieurs modifications significatives :
- Le renforcement des exigences de MREL (Minimum Requirement for own funds and Eligible Liabilities) pour garantir la disponibilité de passifs suffisants pour le bail-in
- L’introduction d’un moratoire préventif permettant de suspendre certaines obligations de paiement avant même l’entrée en résolution
- La clarification de la hiérarchie des créanciers avec l’introduction d’une nouvelle catégorie de dettes dites « senior non préférées »
Au niveau prudentiel, les exigences du paquet bancaire adopté en 2019 (CRR2/CRD5) renforcent la résilience des établissements, notamment par l’introduction du ratio de levier et du ratio de financement stable (NSFR). Ces mesures préventives visent à réduire la probabilité de recourir à l’intervention forcée.
La crise sanitaire de 2020-2021 a constitué un test grandeur nature pour ce dispositif. Si aucune défaillance majeure n’a nécessité d’intervention forcée durant cette période, c’est en grande partie grâce aux mesures exceptionnelles de soutien public qui ont temporairement suspendu certaines contraintes réglementaires. Cette situation soulève des interrogations sur la viabilité du cadre de résolution en l’absence de tels soutiens.
Les défis à venir concernent notamment l’adaptation du cadre d’intervention aux nouveaux risques émergents. La numérisation croissante du secteur bancaire pose des questions inédites en termes de continuité opérationnelle lors d’une résolution. De même, les risques climatiques commencent à être intégrés dans l’évaluation prudentielle, ce qui pourrait à terme influencer les décisions d’intervention.
Sur le plan contentieux, la jurisprudence continue d’affiner les contours du droit de l’intervention bancaire. Les recours formés contre les décisions de résolution de Banco Popular ou contre la liquidation des banques vénitiennes contribuent à préciser les droits des parties prenantes et les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités.
Le débat reste vif sur le juste équilibre entre stabilité financière et protection des droits individuels. La Cour de Justice de l’Union Européenne, dans son arrêt Berlusconi du 19 décembre 2018 (C-219/17), a rappelé que même dans le contexte particulier de la résolution bancaire, les principes fondamentaux du droit de l’Union, comme le droit de propriété ou le droit à un recours effectif, devaient être respectés.
Vers une gouvernance bancaire transformée par l’ombre de l’intervention
Au-delà de son application effective dans les situations de crise, le régime d’intervention forcée exerce une influence profonde sur la gouvernance bancaire quotidienne. Cette « menace crédible » d’intervention agit comme un mécanisme disciplinaire qui modifie les comportements et les stratégies des établissements financiers.
La perspective d’une possible intervention a transformé l’approche du risque au sein des banques. Les conseils d’administration et les comités des risques intègrent désormais systématiquement les scénarios de résolution dans leur planification stratégique. L’obligation d’élaborer des plans préventifs de rétablissement (recovery plans) contraint les établissements à anticiper les mesures à prendre en cas de détérioration significative de leur situation financière.
Du côté des autorités, la préparation permanente à l’intervention se traduit par l’élaboration de plans de résolution pour chaque établissement d’importance systémique. Ces plans, régulièrement mis à jour, identifient les obstacles potentiels à la résolvabilité et peuvent conduire à exiger des modifications structurelles préventives. Ainsi, certaines banques ont dû simplifier leur organisation juridique, réduire leurs interdépendances intra-groupe ou adapter leurs systèmes d’information pour faciliter une éventuelle intervention.
Cette préparation continue a engendré des coûts significatifs de mise en conformité pour le secteur bancaire. Au-delà des contributions directes aux fonds de résolution, les établissements doivent mobiliser d’importantes ressources pour répondre aux exigences de reporting, d’analyse et de restructuration préventive. Ces coûts, bien que justifiés par l’objectif de stabilité financière, pèsent sur la rentabilité du secteur et peuvent affecter sa capacité de financement de l’économie.
Impacts sur la structure du marché bancaire
L’évolution du régime d’intervention influence progressivement la structure même du marché bancaire. La combinaison des exigences prudentielles renforcées et des contraintes liées à la résolvabilité tend à favoriser certains modèles d’affaires au détriment d’autres. Les banques de taille intermédiaire se trouvent particulièrement exposées à ces pressions, prises en étau entre les petits établissements bénéficiant de régimes simplifiés et les grandes banques capables de mutualiser les coûts réglementaires.
On observe ainsi une tendance à la consolidation du secteur, particulièrement visible dans certains pays européens comme l’Espagne ou l’Italie. Cette évolution pose la question paradoxale du « too big to fail » : les mécanismes mis en place pour résoudre ce problème pourraient, par leurs effets indirects, contribuer à renforcer la concentration bancaire.
Pour les investisseurs, l’évolution du cadre d’intervention a modifié l’analyse des risques liés aux titres bancaires. La subordination explicite de certaines catégories de créanciers en cas de résolution a conduit à une différenciation accrue des primes de risque selon le rang de priorité des instruments. Le développement d’obligations spécifiquement conçues pour absorber les pertes en cas de résolution (dettes senior non préférées, contingent convertible bonds) témoigne de cette adaptation du marché.
Les agences de notation intègrent désormais systématiquement le risque d’intervention forcée dans leur évaluation de la solidité financière des banques. Le concept de soutien souverain implicite, autrefois central dans la notation des grandes banques, a été largement revu à la baisse avec l’introduction du bail-in. Cette évolution a contribué à réduire l’avantage concurrentiel dont bénéficiaient les établissements considérés comme trop grands pour faire faillite.
Au-delà du secteur bancaire traditionnel, le cadre d’intervention influence également le développement des activités financières alternatives. Certains acteurs peuvent être tentés de développer des modèles d’affaires en dehors du périmètre strict de la régulation bancaire pour échapper aux contraintes de la résolution. Ce « shadow banking » pose de nouveaux défis aux régulateurs, confrontés à un perpétuel arbitrage réglementaire.
En définitive, le régime d’intervention forcée, initialement conçu comme un mécanisme d’exception pour gérer les crises, s’est progressivement imposé comme un élément structurant de la régulation financière. Son influence dépasse largement le cadre des situations de défaillance avérée pour façonner en profondeur les comportements, les stratégies et les structures du secteur bancaire.
Cette transformation de la gouvernance bancaire sous l’influence du régime d’intervention témoigne d’un changement de paradigme : la stabilité financière n’est plus seulement assurée par des mécanismes curatifs, mais intégrée dans une approche préventive et systémique qui redéfinit les relations entre banques, régulateurs et marché.