La filiation contestée : Enjeux juridiques de la transcription irrégulière des enfants nés par GPA

Face à l’évolution des techniques de procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui (GPA) soulève des questions juridiques complexes en France où cette pratique demeure prohibée. La transcription à l’état civil français des actes de naissance d’enfants nés par GPA à l’étranger constitue un véritable défi pour le droit français, pris entre la protection de l’ordre public et l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces dernières années, la jurisprudence a connu des évolutions majeures sous l’influence des juridictions européennes, obligeant le législateur et les juges français à adapter leur approche. Ce phénomène interroge les fondements mêmes du droit de la filiation et confronte notre système juridique à une réalité sociale qui transcende les frontières nationales.

Le cadre juridique français face à la GPA : entre prohibition et réalité transfrontalière

La gestation pour autrui est formellement interdite en France en vertu des principes d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes. L’article 16-7 du Code civil dispose expressément que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Cette prohibition s’accompagne de sanctions pénales prévues notamment à l’article 227-12 du Code pénal qui réprime « le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître ».

Malgré cette interdiction, de nombreux couples français se rendent à l’étranger pour recourir à une GPA dans des pays où cette pratique est légale, comme les États-Unis, le Canada, ou encore l’Ukraine. Ce tourisme procréatif génère une situation juridique complexe lorsque ces couples reviennent en France avec un enfant dont l’acte de naissance étranger désigne le père biologique et la mère d’intention (ou le second père dans le cas des couples homosexuels) comme parents légaux.

Traditionnellement, les tribunaux français refusaient la transcription de ces actes de naissance sur les registres de l’état civil français, considérant qu’elle contrevenait à l’ordre public international français. Cette position s’est cristallisée dans les arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 avril 2011, qui affirmaient que la GPA constituait « un processus frauduleux » dont la transcription des actes de naissance qui en résultent était contraire à l’ordre public.

Cette approche stricte a toutefois été remise en question par l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans les arrêts Mennesson c. France et Labassee c. France du 26 juin 2014, la CEDH a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme concernant le droit au respect de la vie privée des enfants. La Cour a estimé que le refus de transcription portait atteinte à l’identité des enfants au sein de la société française et à leur droit de voir établie leur filiation.

  • Interdiction absolue de la GPA en droit français
  • Développement d’un tourisme procréatif vers les pays autorisant la GPA
  • Confrontation entre l’ordre public français et les droits fondamentaux de l’enfant
  • Influence déterminante de la jurisprudence européenne

Cette tension entre la prohibition nationale et les réalités transfrontalières illustre la difficulté pour le droit français de maintenir une position cohérente face à un phénomène mondial. La question de la transcription des actes de naissance devient ainsi le point focal où se cristallisent les contradictions entre la protection des principes fondamentaux du droit français et la reconnaissance des droits des enfants nés par GPA.

L’évolution jurisprudentielle : du refus catégorique à l’acceptation conditionnelle

La position des juridictions françaises concernant la transcription des actes de naissance d’enfants nés par GPA a connu une évolution remarquable ces dernières années, passant d’un refus systématique à une ouverture progressive. Ce changement s’est opéré sous l’influence déterminante de la jurisprudence européenne.

Suite aux arrêts Mennesson et Labassee de 2014, la Cour de cassation a dû infléchir sa position. Dans ses arrêts du 3 juillet 2015, elle a admis pour la première fois la transcription partielle des actes de naissance étrangers, à condition que ces actes ne soient ni irréguliers ni falsifiés et que les faits qui y étaient déclarés correspondent à la réalité biologique. Concrètement, cela permettait la transcription de la filiation paternelle lorsque le père d’intention était également le père biologique, mais continuait d’exclure la mère d’intention non biologique.

Cette solution de compromis n’a pas suffi à répondre aux exigences de la CEDH qui, dans un nouvel arrêt Mennesson c. France du 10 avril 2019, a précisé que le droit au respect de la vie privée de l’enfant nécessitait que le droit national offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. Face à cette nouvelle décision, la Cour de cassation a rendu un avis le 10 avril 2019, puis un arrêt d’assemblée plénière le 4 octobre 2019, dans lequel elle a ouvert la voie à la transcription complète de l’acte de naissance étranger, y compris pour la mère d’intention, à condition que cet acte soit régulier et conforme à la réalité au regard du droit de l’État où il a été établi.

Cette évolution jurisprudentielle s’est poursuivie avec l’arrêt du 18 décembre 2019, où la Cour de cassation a confirmé que la transcription complète de l’acte de naissance étranger devait être ordonnée lorsque cet acte désignait le père biologique et son épouse comme père et mère, sans faire mention de la mère porteuse. Cette décision marque une rupture significative avec la position antérieure qui voyait dans toute forme de GPA une fraude à la loi française.

Les critères actuels de la transcription

Aujourd’hui, les critères retenus par la jurisprudence pour accepter la transcription d’un acte de naissance étranger d’un enfant né par GPA peuvent être synthétisés comme suit:

  • L’acte doit être régulier et conforme au droit local
  • L’acte ne doit pas être falsifié
  • Les faits déclarés doivent correspondre à la réalité juridique dans le pays d’établissement
  • Le père d’intention doit être le père biologique de l’enfant

Pour la mère d’intention non biologique, deux voies sont désormais possibles: soit la transcription directe de l’acte de naissance étranger lorsqu’il ne fait pas apparaître la mère porteuse, soit l’adoption de l’enfant du conjoint lorsque les conditions légales sont réunies.

Cette évolution jurisprudentielle témoigne d’un équilibre délicat recherché par les juges français entre la préservation des principes fondamentaux du droit français et la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle illustre comment le droit de la filiation se trouve contraint d’évoluer face aux réalités sociales et aux exigences du droit international des droits de l’homme.

Toutefois, cette approche pragmatique n’est pas sans critique. Certains y voient une forme de légalisation indirecte de la GPA, contraire à la volonté du législateur français. D’autres considèrent qu’elle crée une insécurité juridique en établissant un régime à deux vitesses selon que la GPA a été réalisée à l’étranger ou en France. Ces tensions révèlent la difficulté de trouver une solution juridique satisfaisante à un phénomène qui transcende les frontières nationales et interroge les fondements mêmes du droit de la filiation.

Les mécanismes de reconnaissance de la filiation : entre transcription et adoption

Face à la complexité juridique posée par les enfants nés de GPA à l’étranger, le droit français offre aujourd’hui deux mécanismes principaux pour établir leur filiation: la transcription des actes de naissance étrangers et l’adoption. Chacune de ces voies présente des spécificités et des limitations qui influencent directement le statut juridique de ces enfants en France.

La transcription consiste à reporter sur les registres de l’état civil français les énonciations de l’acte de naissance étranger. Suite aux évolutions jurisprudentielles récentes, cette transcription est désormais possible dans certaines conditions. Pour le père biologique, la transcription est généralement admise dès lors que sa paternité biologique est établie. Pour le parent d’intention non biologique (mère d’intention ou second père dans les couples homosexuels), la situation est plus nuancée.

Depuis l’arrêt d’assemblée plénière du 4 octobre 2019, la Cour de cassation a admis la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger, y compris pour la mère d’intention, lorsque cet acte est régulier et conforme à la réalité juridique locale. Cette solution s’applique particulièrement aux cas de GPA réalisées dans des pays comme les États-Unis, où un jugement préalable à la naissance établit la filiation à l’égard des parents d’intention.

Cependant, cette possibilité de transcription intégrale n’est pas systématique. Elle dépend largement de la forme de l’acte étranger et des procédures suivies dans le pays où la GPA a été réalisée. Dans de nombreux cas, notamment lorsque l’acte mentionne la mère porteuse comme mère de l’enfant (comme c’est souvent le cas en Ukraine ou en Russie), la transcription intégrale se heurte à l’adage mater semper certa est (la mère est toujours certaine) qui prévaut en droit français.

L’adoption comme alternative à la transcription

Face aux limitations de la transcription, l’adoption constitue une alternative pour établir la filiation à l’égard du parent d’intention non biologique. La circulaire du 25 janvier 2013 de la Garde des Sceaux avait déjà suggéré cette voie, mais ce n’est qu’avec l’avis consultatif de la CEDH du 10 avril 2019 que cette solution s’est véritablement imposée.

Deux formes d’adoption sont envisageables:

  • L’adoption plénière, qui crée un nouveau lien de filiation se substituant au précédent
  • L’adoption simple, qui ajoute un nouveau lien de filiation sans supprimer celui qui existe déjà

Pour les couples hétérosexuels, l’adoption de l’enfant du conjoint est généralement privilégiée, permettant à la mère d’intention d’adopter l’enfant biologiquement lié à son époux. Pour les couples homosexuels masculins, la situation est plus complexe car elle implique souvent l’adoption par le conjoint non biologique de l’enfant du père biologique.

La loi bioéthique du 2 août 2021 a apporté une clarification bienvenue en prévoyant expressément que « l’existence d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ou d’une gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas obstacle à la prononciation de l’adoption, si les conditions en sont réunies ». Cette disposition lève l’incertitude qui pesait sur la recevabilité des demandes d’adoption dans ce contexte.

Néanmoins, l’adoption reste une procédure judiciaire soumise à l’appréciation du juge et aux conditions fixées par la loi. Elle suppose notamment le consentement du parent déjà reconnu et, dans le cas de l’adoption plénière, elle n’est possible que si l’enfant a moins de quinze ans. De plus, elle peut être refusée si le juge estime qu’elle n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant ou si elle apparaît comme un détournement de l’institution de l’adoption.

Ces deux mécanismes – transcription et adoption – illustrent la recherche par le droit français d’un équilibre entre le respect de l’ordre public et la protection des droits de l’enfant. Ils témoignent d’une approche pragmatique qui, sans renoncer à la prohibition de la GPA sur le territoire national, tente de répondre aux situations de fait créées par le recours à cette pratique à l’étranger. Toutefois, cette dualité de régimes juridiques soulève des questions d’égalité entre les enfants et de cohérence du droit de la filiation.

Les conséquences juridiques pour l’enfant et les parents d’intention

La reconnaissance juridique des liens de filiation des enfants nés par GPA à l’étranger a des implications considérables tant pour les enfants concernés que pour leurs parents d’intention. Ces conséquences touchent à plusieurs domaines du droit et affectent profondément la vie quotidienne des familles.

Pour l’enfant, l’absence de transcription de son acte de naissance étranger ou l’impossibilité d’établir sa filiation à l’égard de ses parents d’intention crée une situation de vulnérabilité juridique. Sans filiation établie en France, l’enfant se trouve dans un vide juridique qui affecte son identité et ses droits fondamentaux.

En matière de nationalité, l’établissement de la filiation paternelle biologique permet généralement à l’enfant d’acquérir la nationalité française par filiation, en application de l’article 18 du Code civil. Toutefois, en l’absence de reconnaissance de la filiation maternelle ou du second lien de parenté, cette transmission peut être compromise ou retardée, créant des situations où l’enfant peut se retrouver apatride ou avec une nationalité incertaine.

Concernant les droits successoraux, l’absence de lien de filiation reconnu prive l’enfant de la qualité d’héritier réservataire à l’égard du parent non reconnu. Cette situation peut avoir des conséquences patrimoniales graves, notamment en cas de décès du parent d’intention avant que la filiation n’ait pu être établie. Même si des dispositions testamentaires peuvent partiellement compenser cette absence, elles ne confèrent pas les mêmes protections qu’un lien de filiation légalement établi.

Impact sur l’autorité parentale et la vie quotidienne

L’autorité parentale, définie comme l’ensemble des droits et devoirs des parents envers leurs enfants, est directement affectée par l’établissement ou non de la filiation. Sans lien juridique reconnu, le parent d’intention non biologique se trouve dépourvu de tout pouvoir légal de décision concernant l’enfant. Cette situation crée des difficultés pratiques pour:

  • Les actes médicaux nécessitant l’autorisation parentale
  • Les inscriptions scolaires et les autorisations liées à la scolarité
  • Les voyages à l’étranger, notamment l’obtention de documents de voyage
  • Les démarches administratives quotidiennes

Pour les parents d’intention, l’incertitude juridique entourant leur statut parental génère une forte insécurité émotionnelle et juridique. Le parent non reconnu légalement vit dans la crainte permanente de voir ses droits contestés, notamment en cas de séparation du couple ou de décès du parent légalement reconnu. Cette précarité juridique contraste souvent avec la réalité affective et sociale où ces personnes exercent pleinement leur rôle parental.

La protection sociale de l’enfant peut également être affectée. Les prestations familiales, l’assurance maladie, ou encore les droits dérivés de la situation professionnelle du parent non reconnu peuvent être difficiles à obtenir sans lien de filiation établi. Si des solutions administratives pragmatiques existent parfois, elles restent souvent fragiles et soumises à l’appréciation discrétionnaire des organismes concernés.

En matière de responsabilité civile, l’absence de lien juridique reconnu soulève la question de la responsabilité du fait des mineurs prévue à l’article 1242 du Code civil. Le parent d’intention non reconnu légalement peut-il être tenu responsable des dommages causés par l’enfant? La jurisprudence tend à rattacher cette responsabilité à l’exercice effectif de l’autorité parentale, mais l’absence de lien de filiation peut compliquer l’application de ce principe.

Ces conséquences multiples illustrent comment le défaut de reconnaissance juridique du lien de filiation peut fragiliser l’ensemble de la cellule familiale et créer des situations où l’intérêt supérieur de l’enfant se trouve compromis par des considérations d’ordre public. Elles révèlent également les limites d’une approche qui, en voulant décourager le recours à la GPA, pénalise principalement les enfants qui n’ont pas choisi les conditions de leur naissance.

Vers une reconnaissance mesurée : perspectives législatives et éthiques

L’évolution de la question de la transcription des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger s’inscrit dans un débat plus large sur la légitimité de cette pratique et sur les réponses juridiques à apporter face à sa réalité transfrontalière. Plusieurs perspectives se dessinent pour l’avenir, tant sur le plan législatif qu’éthique.

Sur le plan législatif, la France se trouve confrontée à un dilemme: maintenir l’interdiction absolue de la GPA sur son territoire tout en reconnaissant les effets de cette pratique lorsqu’elle est réalisée légalement à l’étranger. La loi bioéthique du 2 août 2021 a marqué une avancée modeste en reconnaissant expressément la possibilité d’adopter un enfant issu d’une GPA réalisée à l’étranger. Toutefois, cette loi n’a pas consacré la transcription automatique des actes de naissance étrangers, laissant cette question à l’appréciation des juges.

Certains militent pour une reconnaissance législative plus claire des situations créées par la GPA à l’étranger, suivant le modèle de l’Espagne ou du Portugal qui, tout en prohibant cette pratique sur leur territoire, ont adopté des dispositions spécifiques pour la reconnaissance des filiations établies légalement à l’étranger. Une telle approche aurait le mérite de la clarté juridique et éviterait aux familles concernées le parcours judiciaire souvent long et incertain qu’elles doivent actuellement entreprendre.

D’autres voix s’élèvent pour proposer une légalisation encadrée de la GPA en France, sur le modèle du Royaume-Uni ou du Canada, où cette pratique est autorisée sous forme altruiste (sans rémunération de la mère porteuse au-delà du remboursement des frais engagés). Cette option permettrait d’éviter le recours à l’étranger et d’assurer un encadrement éthique de la pratique, mais elle se heurte à de fortes résistances philosophiques et politiques.

Les enjeux éthiques et les droits fondamentaux

Au-delà des questions juridiques, le débat sur la transcription des actes de naissance d’enfants nés par GPA soulève des enjeux éthiques fondamentaux. Il met en tension plusieurs principes:

  • La dignité humaine et la non-marchandisation du corps humain
  • L’intérêt supérieur de l’enfant et son droit à une identité stable
  • L’autonomie reproductive des individus
  • L’égalité entre tous les enfants, quelle que soit leur mode de conception

La Cour européenne des droits de l’homme a joué un rôle déterminant en plaçant l’intérêt de l’enfant au centre de sa jurisprudence. Dans l’avis consultatif du 10 avril 2019, elle a précisé que si les États disposent d’une marge d’appréciation quant aux moyens permettant d’établir la filiation des enfants nés par GPA, ils doivent néanmoins garantir l’effectivité et la célérité des procédures de reconnaissance, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Cette approche centrée sur les droits de l’enfant trouve un écho dans la Convention internationale des droits de l’enfant qui garantit à tout enfant le droit de connaître ses origines et d’être pris en charge par ses parents. Elle invite à dépasser les considérations liées à la légitimité de la GPA pour se concentrer sur la protection juridique des enfants qui en sont issus.

Dans cette perspective, une solution équilibrée pourrait consister à maintenir l’interdiction de la GPA en France tout en reconnaissant pleinement les liens de filiation établis légalement à l’étranger, à condition que certaines garanties éthiques soient respectées (absence d’exploitation de la mère porteuse, consentement libre et éclairé, absence de rémunération excessive, etc.). Cette approche permettrait de concilier la préservation des principes éthiques français avec la protection des droits fondamentaux des enfants.

En définitive, la question de la transcription irrégulière des enfants nés par GPA révèle les tensions inhérentes à un monde globalisé où les pratiques bioéthiques varient considérablement d’un pays à l’autre. Elle rappelle que le droit de la filiation, loin d’être une simple technique juridique, touche aux fondements anthropologiques de nos sociétés et à notre conception de la famille. Face à ces défis, le droit français est appelé à trouver un équilibre délicat entre la préservation de ses valeurs fondamentales et l’adaptation aux réalités contemporaines, toujours guidé par la considération primordiale de l’intérêt de l’enfant.